Prurit intense, plaques rouges, œdèmes, squames et croûtes mais aussi nuits perturbées, repli sur soi et dépression, la dermatite atopique sévère (DAS) touche plus de 100 000 personnes en France1. Des patients qui souffrent et qui sont aussi, en général, très mal dans leur peau.
Focus sur les impacts psychologiques de cette maladie de peau qui reste encore peu connue, avec le Docteur Sylvie Consoli, dermatologue et psychanalyste.
Souvent confondue avec l’eczéma ou le psoriasis, la dermatite atopique sévère est mal connue. Pouvez-vous nous la présenter en quelques mots ?
Dr Sylvie Consoli. – La dermatite atopique est une maladie inflammatoire de la peau, chronique et prurigineuse, qui évolue par poussées. Elle ne provoque pas les mêmes lésions chez tout le monde. Certains auront des plaques rouges, d’autres des lésions œdématiées, d’autres encore de petites vésicules ou des squames, voire des croûtes. Chez les enfants, ces lésions se localisent surtout dans les plis cutanés, chez les adultes sur la tête, le cou et les mains.
Selon les recherches les plus récentes, cette maladie résulterait de l’interaction de facteurs génétiques, environnementaux et immunologiques. Parmi ces facteurs, l’altération de la barrière cutanée est au premier plan. La peau comprend en effet plusieurs couches dont un revêtement protecteur, l’épithélium. Chez une personne saine, les cellules de ce rempart sont bien jointives. Chez les patients atteints de dermatite, il y a des brèches qui laissent entrer les agents pathogènes contre lesquels l’organisme se défend avec une sur-réaction immunitaire.
Sur les 2,5 millions de personnes atteintes de cette maladie, 100 000 souffrent d’une forme sévère (DAS)1, parfois étendue à tout le corps, avec peu, voire aucune rémission, malgré un traitement bien suivi.
Au-delà de ces stigmates, en quoi cette forme sévère modifie-t-elle l’état psychique des patients ? Leur rapport aux autres ?
Dr SC. – Leurs douleurs et leurs démangeaisons sont telles que leurs nuits sont perturbées et leur qualité de vie dégradée, ce qui a nécessairement des retentissements psychologiques2. Par ailleurs, les maladies de peau sont difficiles à cacher. Elles sont associées, dans notre imaginaire, à la saleté, la contagion, la stigmatisation, ce qui crée un sentiment de rejet. Quand elles touchent le visage et les mains, c’est encore pire car il s’agit de zones corporelles particulièrement exposées au regard et au toucher d’autrui. Difficile de dire bonjour ou de caresser quand on a les mains rugueuses ; difficile aussi d’être caressé, de se sentir attirant, difficile encore de gérer un entretien d’embauche ou un rendez-vous amoureux quand on a soudain une envie furieuse de se gratter…
L’entrée en relation, la vie affective et la vie sexuelle de ces patients sont compliquées, et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes sévèrement altérée. La maladie perturbe aussi le rapport au corps à l’adolescence, période particulièrement délicate de la vie où on se construit mais où les transformations physiques subies ébranlent l’image qu’on a de soi.
Enfin, il faut s’interroger sur une des fonctions psychologiques de la peau. La peau est notre contenant, la limite de notre corps, de notre espace physique mais aussi la représentante de la limite fantasmatique de notre espace psychique. Une peau altérée renvoie à une altération des limites de soi, de son sentiment d’être en sécurité à l’intérieur de soi, de sa cohésion intérieure, de son identité. Or la confiance et l’estime de soi sont essentielles pour faire face aux aléas de la vie. Ce qui explique pourquoi beaucoup de patients atteints d’une DAS sont anxieux voire dépressifs, se laissent entraîner dans une addiction ou se réfugient dans des conduites d’évitement de situations anxiogènes et s’isolent.
En tant que psychanalyste, comment les aidez-vous ?
Dr SC. – Avant de les aider sur le plan psychologique, je vérifie qu’ils sont bien suivis sur le plan dermatologique et qu’ils ont une relation de confiance avec leur médecin. Ensuite, je les aide à réfléchir sur la façon dont ils vivent leur maladie, pourquoi il leur est difficile de se traiter, dans quelles circonstances surviennent les poussées de la maladie et, en particulier, les crises de démangeaisons et pour quelles raisons selon eux.
Ensemble, nous faisons la part des choses entre ce qui revient à la maladie et ce qui appartient à leur personnalité. Car il peut exister une fragilité psychologique, indépendante de la dermatite atopique, mais qui rend plus vulnérable aux conséquences psychologiques de la maladie.
Ensemble, nous recherchons aussi des activités ou des outils pour qu’ils reprennent confiance en eux. Une fois qu’ils ont identifié leurs difficultés psychologiques, qu’ils ont repéré les situations anxiogènes qui déclenchent les crises et qu’ils ont repris confiance en eux, ils vont mieux. Ils deviennent plus observants de leur traitement et des règles hygiéno-diététiques. Les rémissions durent plus longtemps et les lésions deviennent plus acceptables.
Dans chaque cas, il s’agit d’un travail d’équipe entre le patient, son médecin et moi, ainsi que d’autres professionnels du soin, voire parfois un membre de l’entourage familial. Car pour réussir, la prise en charge doit être coordonnée, le patient considéré dans sa globalité et les professionnels de santé, comme l’entourage socioprofessionnel, mieux formés à toute la complexité de cette maladie.
Danser pour sauver sa peau
Deux questions à Marjolaine Hering, danse-thérapeute et patiente atteinte d’une dermatite atopique sévère.

Vous dansez depuis votre enfance. En quoi cela vous a-t-il aidé ?
Marjolaine Hering. – Timide, inhibée, stigmatisée, … à l’école j’étais rejetée. La danse c’était ma bulle d’oxygène. Elle m’a permis de me reconnecter à mon corps, malgré les plaques qui suintaient dans tous mes replis. A la danse, j’oubliais tout : j’étais quelqu’un d’autre et le regard qu’on portait sur moi était autre. Depuis, je n’ai jamais arrêté de danser, et je me suis même formée à la danse-thérapie.
Cette danse-thérapie vous la dispensez à votre tour avec l’association française de l’eczéma (AFE). De quoi s’agit-il ?
MH. – Il s’agit d’une technique d’art-thérapie qui utilise le processus de création pour aller mieux. Le travail d’improvisation permet de faire une catharsis, en accédant à l’imaginaire. Ce qui est un soulagement quand on a du mal à verbaliser. Le fait d’élaborer une chorégraphie à partir de cette improvisation et de la danser devant d’autres personnes permet ensuite de se distancier des émotions libérées. Tout ça agit à la fois sur la confiance en soi, l’image corporelle et la relation qu’on a aux autres.
Références
- Colloque « Les maladies chroniques invalidantes de la peau : les oubliées du système de santé ? » - citation de Charles Taieb à partir des études eclA et Epi-Aware
- Etude ECLA sur la dermatite atopique de l’adulte lancée par l’Association Française de l’Eczéma en 2017