L’odorat, un sens si précieux mais si peu considéré
Jean-Michel Maillard est devenu anosmique à 40 ans, à la suite d'un traumatisme crânien. Au fil des mois, il réalise que son trouble persiste. Il a perdu définitivement l'odorat. Il décide alors de partir au combat, car l'anosmie n'est pas une fatalité pour tous.
En 2017, 2 ans jour pour jour après son accident, il fonde l’association francophone anosmie.org pour les patients touchés par la perte de l'odorat. Depuis, il apporte son aide à la communauté grandissante des anosmiques et fait entendre leur voix. L’une de ses initiatives, très médiatisée durant la crise sanitaire, connait un succès viral... La Journée mondiale de l’anosmie est l’opportunité de recueillir son témoignage.
La crise sanitaire a mis un coup de projecteur sur le trouble dont vous souffrez. C’est quoi l’anosmie ?
Jean-Michel Maillard - L’anosmie désigne la perte totale de l’odorat ou son absence congénitale. C’était un handicap totalement méconnu jusqu’en mars 2020. Il a fallu que des centaines de millions de patients Covid-19 perdent leur odorat pour découvrir le nez ! Il a fallu qu’ils disent leur désarroi pour que les professionnels de santé et la société prennent conscience du rôle essentiel de notre 5è sens. Une révélation bien paradoxale au pays de la gastronomie, de la sensualité et du parfum !
Combien y-a-t-il d’anosmiques en France ?
JMM - Le CNRS estime à 5% le pourcentage de personnes affectées par une perte totale de l’odorat (anosmie), un chiffre qui a considérablement été modifié depuis l'épidémie de Covid-19. En outre, près de 20% de la population souffrirait d'une baisse de la qualité de l'odorat (hyposmie), l’odorat se dégradant avec l’âge, comme la vue et l’ouïe.
Quelles sont les causes de l’anosmie ?
JMM- Ses causes sont diverses et encore inexpliquées dans 20% des cas. Il n'y a pas d'âge pour devenir anosmique. Certains naissent sans odorat. D'autres personnes souffrent d'anosmie due à une lésion, provoquée par un traumatisme, un ictus émotif, une infection virale. La perte de l'odorat peut être aussi la conséquence d'une polypose nasale. Cette maladie inflammatoire chronique touche 2,1% de la population1. Dans cette pathologie, des polypes se développent dans les cavités du nez et des sinus et congestionnent les muqueuses provoquant une perte de l’odorat et/ou du goût, une rhinite, une gêne respiratoire. Dans ce cas, des solutions existent.
En quoi l’anosmie constitue-t-elle un véritable handicap dans votre vie quotidienne et celle des autres typologies d’anosmiques ?
JMM - Les conséquences de l’anosmie sont multiples et très méconnues. Lorsqu’on perd l’odorat sans rémission possible, la vie devient plus triste :
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Finies les odeurs qui illuminent votre quotidien : celles du café le matin, de la nature qui s’éveille au printemps, du savon au sortir de la douche, du corps des proches que vous aimez.
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Les odeurs ne vous alertent plus du danger : le gaz, la fumée, le renfermé, les aliments avariés dans le frigo, les mauvaises odeurs corporelles.
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Généralement, vous perdez une partie du goût, parce que les saveurs se perçoivent en très grande partie par rétro-olfaction. La sensation de manger du carton sucré, salé, amer, acide ou piquant rend vos repas bien moins conviviaux.
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Les émotions intenses et les jolis souvenirs ravivés par les odeurs, ne remontent plus au cerveau…
L’anosmie provoque donc souvent des troubles de l’alimentation, des pertes du désir amoureux, du repli sur soi, de l’isolement, de la dépression.
Est-ce que l’anosmie se soigne ?
JMM – Il y a 5 ans, j’ai non seulement perdu l’odorat, mais aussi découvert un immense vide médical, scientifique et sociétal autour de l’anosmie en France. J'étais seul face à mes questions ! Je me suis alors rapproché d’un des rares scientifiques à s’être intéressé au sujet. Ensemble, nous avons adapté, développé et mis en ligne, gratuitement, sur le site www.anosmie.org, un protocole de rééducation olfactive. Lancé discrètement en 2018, ce programme de training s’est retrouvé très médiatisé par la crise sanitaire (cf. encadré). Il permet de récupérer la perception de certaines odeurs en stimulant le renouvellement des neurones olfactifs (neurogénèse).
Pour les anosmies réversibles comme celles liées à la polypose nasale, les traitements proposés sont insatisfaisants : les corticoïdes ne sont pas une solution au long cours ; des milliers de malades hésitent à se faire opérer d’un polype proche du cerveau. Aussi attendent-ils avec impatience de nouvelles solutions.
Succès viral pour le Protocole de rééducation olfactive de l’association anosmie.org
Ce programme de training de stimuli olfactif sur 12 semaines consiste à respirer à l’aveugle, 2 fois par jour, 6 huiles essentielles : citron, clou de girofle, rose, eucalyptus, menthe poivrée, graine de café. Depuis la crise sanitaire, de nombreux médecins généralistes, chirurgiens ORL, orthophonistes ont demandé à l’association l’autorisation d’utiliser son Protocole, téléchargé plus de 50 000 fois et désormais traduit en anglais, en espagnol et en allemand. Anosmie.org a également collaboré à la création de l’application covidanosmie.fr par un professionnel de e-santé, lancée le 12 janvier 2021.
Comment fonctionne l’association ?
JMM - Pour rayonner partout en France et même en Espagne, au Luxembourg, en Autriche, en Belgique, au Canada, en Tunisie, l’association s’appuie sur un réseau de 22 « ambassadeurs de l’odorat » : des personnes de tous horizons, de tout âge, des professionnels de santé et des chercheurs qui donnent de leur temps pour répondre aux questions que nous recevons et aux nombreuses sollicitations médiatiques. Des bénévoles normosmiques (avec un odorat normal) mettent aussi leurs compétences d’aromaticiennes, de traducteurs, de graphistes à notre service. Nous sommes une vraie communauté soudée.
Quelles initiatives particulières avez-vous lancé dans le cadre de cette association ?
JMM - Afin d’apporter un soutien immédiat et des informations médico-scientifiques fiables à tous les patients Covid-19 qui perdent l’odorat, comme aux parents qui découvrent soudain que leur enfant est anosmique congénital, nous avons lancé en juin 2020 des réunions en visio sur divers thèmes : « anosmie Covid-19 : infos et rééducation olfactive », « naître sans odorat », « la polypose naso-sinusienne », … Ces rendez-vous se poursuivent avec grand succès.
Sur le moyen terme, notre ambition est de faire reconnaître l’anosmie comme un handicap et de contribuer au développement d’une culture de l’odorat, aujourd’hui pratiquement inexistante en France. Il s’agit de faire réaliser aux médecins et à notre société, combien la perte de l’odorat affecte notre qualité de vie et pourquoi il est urgent de protéger aussi notre 5è sens. C’est l’enjeu de nos groupes de travail et raison pour laquelle nous accentuons notre communication. L’anosmie congénitale, le parcours de l’anosmique sont des questions particulièrement cruciales que l'association va poser solennellement à un député à l’occasion de cette Journée mondiale de l’anosmie.
Quel est ce projet sur lequel vous souhaitez interpeller votre député et le Ministre de la Santé ce 27 février 2021 ?
JMM - Nous sollicitons la création d’un test de l’odorat dans les écoles afin que les enfants prennent conscience, dès leur jeune âge, du rôle essentiel de ce sens dans notre vie et qu'il est nécessaire de le développer, de le protéger. Nous lançons également un appel urgent pour que l’odorat trouve la place qu’il mérite dans les programmes de recherche.
Référence
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EUFOREA consensus on biologics for CRSwNP with or without asthma https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6972984/