Épidémie de choléra au Yémen, de Sras en Chine, de MERS-CoV en Arabie Saoudite, d’Ebola en Afrique de l’Ouest, pandémie grippale H1N1, épidémie de Zika en Amérique Latine, de fièvre jaune au Brésil, et actuelle pandémie de Covid-19… Les exemples d’épidémies ne manquent pas et on constate depuis une dizaine d’années l’amplification du phénomène. Preuve que, malgré l’arrivée des antibiotiques, le développement des vaccins et l’amélioration de l’hygiène hospitalière, nous n’en avons pas fini avec les maladies infectieuses qui ont toujours accompagné l’espèce humaine. Alors qu’aujourd’hui la pandémie de Covid-19 place les maladies infectieuses d’origine animale (zoonoses) sur le devant de la scène, faut-il craindre pour l’avenir l’émergence de risques pandémiques liés à l’activité humaine et à la dégradation de notre environnement ?

Mécanismes d’émergence de nouveaux virus

Dans son ouvrage Les virus émergents, Jean-Claude Manuguerra, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence à l’Institut Pasteur, précise que l’émergence de virus causant des maladies humaines s’insère schématiquement dans trois catégories : « Les virus réellement nouveaux dans l’espèce humaine, mais préexistants chez une espèce animale et dont la présence résulte en général d’une transmission inter-espèces, les maladies humaines connues dont on découvre que l’agent étiologique est un virus, et les virus déjà connus, associés à des maladies connues, dont la distribution géographique change brusquement. »

La diffusion rapide d’agents pathogènes émergents à l’échelle de la planète s’explique, quant à elle, par une mobilité internationale plus fréquente, par des habitats plus rapprochés à la suite de l’urbanisation, et par des modifications de pratiques agricoles ou alimentaires. Un phénomène qui nous pousse à interroger notre positionnement par rapport à un écosystème à la biodiversité sans cesse altérée.

Risques pandémiques liés à l’activité humaine et au réchauffement climatique

Source de biens et de services, la biodiversité nous apporte de l’oxygène, de la nourriture, des médicaments, des matières premières et permet la pollinisation, la fertilisation des sols, l’épuration de l’eau et la prévention des inondations. « Modifier des régions par la déforestation, ou par la conversion de terres pour l'élevage, l'agriculture ou la construction augmente la fréquence et l'intensité des contacts entre l'humain et la faune sauvage, et crée les conditions idéales pour des transferts viraux », note Christine K. Johnson, chercheure à l'école vétérinaire de l'Université de Californie. Avec ses collègues, elle a étudié 142 cas de zoonoses virales qu’elle a croisés avec les listes de l'Union internationale pour la conservation de la nature et des espèces en danger. « Parmi les espèces sauvages menacées, celles dont les populations sont en baisse en raison de l'exploitation et de la perte d'habitat partagent plus de virus avec les humains, précise-t-elle. Nos données illustrent la manière dont l'exploitation de la faune sauvage et la destruction de l'habitat naturel sous-tendent les transferts de maladies, nous confrontant au risque de maladies infectieuses émergentes ».

Modifier des régions par la déforestation, ou par la conversion de terres pour l'élevage, l'agriculture ou la construction augmente la fréquence et l'intensité des contacts entre l'humain et la faune sauvage, et crée les conditions idéales pour des transferts viraux.

Christine K. Johnson, Université de Californie

Le dérèglement climatique à l’échelle planétaire facilite également l’émergence et la diffusion des agents pathogènes. Sous l’effet du réchauffement climatique, le dégel de zones de pergélisol (ou permafrost) composées de glaces et de matières organiques, en Alaska, au Canada et en Russie, pourrait libérer des virus et des bactéries enfouis dans la glace depuis plus de 30 000 ans. À la faveur d’activités de forages pétroliers ou gazéifères, des agents pathogènes que l’on pensait éradiqués, pourraient alors ressurgir, tels que l'anthrax, la variole ou encore la grippe espagnole. « C’est en mettant en présence la population humaine avec des réservoirs auxquels elle n’a pas l’habitude d’être confrontée, que peut se produire le franchissement des barrières d’espèces de virus dormants dans un réservoir animal naturel », confirme Manuel Rosa-Calatrava, directeur de recherche à l'Inserm, lors de la table-ronde « Virus émergents et nouvelles maladies », menée cette année par l’Inserm et Science et Avenir. « Du fait de leur potentiel à muter, on offre ainsi à ces virus la possibilité d’infecter un hôte nouveau, de revivre et de se disséminer au niveau de la population humaine. »

Le réchauffement climatique favorise aussi l’extension vers les régions tempérées d’insectes hématophages, vecteurs de virus, autrefois cantonnés aux régions chaudes. « Nous assistons à une augmentation notable de l’aire de répartitions de certains moustiques, de type Aedes albopictus par exemple, du fait de l’expansion des gîtes propices à leur développement. Ceci pourrait favoriser le développement des arboviroses dans le sud de l’Europe notamment », appuie Eric d’Ortenzio, médecin épidémiologiste et coordinateur scientifique à l'Inserm.

Prévenir ces risques et moyens d’actions à disposition

Pour prévenir ces risques d’épidémies accentués par le réchauffement climatique, et éviter la déstabilisation de nos systèmes de santé, une surveillance épidémiologique régulière est nécessaire. Chaque année, Santé Publique France coordonne la surveillance saisonnière renforcée du chikungunya, de la dengue et du zika dans les départements métropolitains colonisés par le moustique vecteur, en lien avec les Agences Régionales de Santé concernées.

Le réseau Sentinelles, en collaboration avec Santé Publique France, coordonne également au niveau national la surveillance épidémiologique de 7 maladies infectieuses. Parmi ces maladies, l'indicateur « Syndrome grippaux » a d’ailleurs été interrompu courant 2020 et remplacé par une surveillance plus large des « Infections Respiratoires Aiguës », en raison de l’épidémie de Covid-19. Face à l’épidémie‎, les autorités sanitaires ont aussi mis en place en France en janvier un dispositif de surveillance qu’elles ont réadapté en mars à la circulation plus large du virus, à partir des données des hôpitaux, des Ehpad et des laboratoires de ville.

Une coordination internationale nécessaire entre tous les acteurs

La lutte contre les maladies infectieuses émergentes passe nécessairement par une coordination internationale des différents acteurs que ce soit pour accélérer le partage d’informations, ou la mise au point, la production et l’accès ‎équitable à de nouveaux produits de diagnostic, traitements et vaccins‎. Si l’Organisation Mondiale de la Santé, la Communauté Européenne et Santé Publique France publient régulièrement des indicateurs sanitaires, des acteurs privés ont également leur rôle à jouer.

Pour sa part, Sanofi, avec son entité Vaccins, est historiquement impliqué dans un vaste écosystème de partenariats publics-privés pour participer au développement de futurs vaccins contre des pathogènes susceptibles de causer des épidémies. L’entreprise collabore notamment au niveau international avec le BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority) et la CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations), et au niveau français avec REACTing, un consortium de laboratoires créé par l’Inserm et Aviesan.

Pourtant, au-delà de cette dynamique de collaboration publique-privée essentielle, pour anticiper et réagir efficacement aux épidémies, une réflexion urgente et globale s’impose sur la transition écologique, afin d’enrayer la dégradation de l’environnement, l’accélération du changement climatique et l’érosion de la biodiversité.

3 questions à Sophie Druelles, épidémiologiste chez Sanofi

Comment Sanofi se prépare-t-il aux risques pandémiques émergents ?

Sophie Druelles. - Je fais partie d’une équipe d’épidémiologistes qui travaille en interface avec les équipes Industrielles et Recherche & Développement de Sanofi. Notre mission consiste à surveiller des pathogènes connus, (comme le zika, le chikungunya…) ayant un risque de circulation, ainsi que des nouveaux pathogènes encore inconnus, comme cela a été le cas avec le SARS-CoV-2, responsable du Covid-19.

Pour effectuer cette surveillance des pathogènes, nous croisons différentes sources d’information et de données extraites notamment de la littérature scientifique, des sites officiels ou encore des réseaux sociaux. Nous nourrissons aussi notre veille grâce aux échanges que nous avons avec nos partenaires, instituts publics et universitaires ou sociétés privées.

Plus largement, la mission des équipes de Sanofi consiste à anticiper, surveiller et définir la bonne action au bon moment : est-ce que le risque d’émergence du pathogène est fort ? Considère-t-on que telle maladie émergente présente un potentiel épidémique ? En cas de risque avéré, lance-t-on le développement d’un vaccin ?

Concrètement, nous travaillons à l’étude permanente des familles de grippes et de coronavirus. Nos équipes surveillent aussi de très près les déplacements des insectes vecteurs de pathogènes qui pourraient s’étendre géographiquement et pour lesquels il n’existe pas encore de vaccin.

Quelle est l’importance des data dans ce travail de veille ?

SD. - Les données que nous manions sont de plus en plus et massivement des data digitales. La collaboration avec des experts de ce domaine, sociétés privées ou acteurs publics, est donc essentielle. En effet, dans la prospective, meilleures sont les données et meilleurs seront les modèles d’analyse. C’est d’ailleurs aujourd’hui un enjeu majeur pour notre équipe de modélisation du Covid-19.

Les données de mobilité issues de Google, une fois modélisées, nous aident, par exemple, à prédire l’évolution d’une épidémie et sa propagation. De même, les réseaux sociaux sont une mine d’informations : certes, ces données ne sont pas spécifiquement scientifiques mais elles nous permettent de déceler des tendances et de prédire en 24 à 48 heures un risque épidémique. C’est ce qui s’est passé en 2009 avec la grippe H1N1.

Comment Sanofi se coordonne avec d’autres acteurs de santé, publics ou privés ?

SD. - Chez Sanofi, nous avons une conviction : il est essentiel de mutualiser les expertises. A ce titre nous mettons en place des initiatives ponctuelles ou sur le long terme, des collaborations et des partenariats avec des acteurs privés (type start-up) ou publics (universités et hôpitaux). A titre d’exemple, nous avons mis en place, en 2015, un réseau hospitalier de surveillance de la grippe, le GIHSN (Global Influenza Hospital Surveillance Network) au sein duquel nous collaborons avec 23 sites répartis dans 20 pays.

Dans le cadre du Covid-19, cela est particulièrement vrai, avec notamment cet échange que nous avons avec une université à Hong Kong qui nous permet de suivre au plus juste la situation en Asie.

En résumé, ces partenariats permettent :

  • d’avoir de bons signaux d’alerte grâce à des sources nombreuses et sûres,
  • de travailler dans le cadre de consortium en mutualisant les informations,
  • de décider et d’agir vite, ce qui est l’essentiel !

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Sources